Femmes Humanitaires quelles réalités ?

Femmes Humanitaires, quelles réalités ?

8 mars… Journée internationale du droit des femmes. A Humanitalents nous avons pensé que c’était une bonne opportunité de laisser la parole aux femmes humanitaires. Elles ont accepté de partager leurs perspectives, leurs visions, leurs expériences avec nous. Un grand merci à elles pour leur confiance et leur authenticité.

Célébrons aujourd’hui la Femme Humanitaire, toutes les femmes humanitaires.

Etre une femme dans la solidarité internationale exacerbe selon moi  des questionnements sur la façon dont il est possible de concilier un engagement professionnel et celui de la vie privée, notamment autour de sujets intimes comme la maternité.

Ce sont  surtout des rencontres de femme à femme que je retiens de mes missions humanitaires sur le terrain,  Ne pas être mariée ou mère lorsqu’on a plus de 30 ans est toujours une source d’étonnement et d’incompréhension pour ces femmes qui souvent très tôt, se retrouvent engagées sur ce chemin. Aux questions “mariée, des enfants?  je m’en sors mieux avec le temps en répondant avec humour “ pas encore, Dieu n’a pas encore voulu!”

En tant que femme humanitaire, il faut être capable d’être forte tout en faisant des compromis notamment lorsqu’on est sur un poste de manager avec des équipes d’hommes. Il faut pouvoir s’imposer « en douceur ». Selon les cultures et sociétés, il faut être vigilante à la place de l’homme et de la femme et ne pas rentrer dans un rapport de pouvoir. Quand j’ai commencé à travailler à Gaza en 2010, beaucoup d’hommes avaient besoin d’aide psychologique du fait qu’ils avaient été blessés aux jambes par les soldats israéliens. Mon organisation fournissait des soins médicaux comme la mise en place de fixateurs externes ou de prothèses pour les personnes amputées.

En tant que psychologue, je devais les soutenir au niveau psychologique mais lors de mon arrivée, mes collègues, expatriés et locaux m’ont fait comprendre que les hommes n’accepteraient pas mon aide étant une femme non musulmane et que je devrais seulement soutenir au niveau psychologique les femmes et enfants. J’ai alors commencé à aller rendre visite aux médecins et kinésithérapeutes qui s’occupaient des hommes, à leur expliquer mon travail puis à m’asseoir avec les hommes pendant leur rééducation ou sessions de pansements de plaies. Je ne disais pas forcément que j’étais psychologue, mais je les écoutais et j’étais présente pour recevoir leurs confidences. Au fur et a mesure, j’ai pu les recevoir dans mon bureau, ils me faisaient confiance et mes collègues étaient surpris que la thérapie fonctionne même avec une femme thérapeute !

Les femmes dans l’humanitaire sont en train d’investir tous les postes à haute technicité, la prochaine étape sera donc qu’elles investissent les postes de senior management.

Pour ma part, je n’ai jamais ressenti de statut spécial du fait d’être une femme mis à part peut-être qu’il était plus facile de négocier avec les groupes armés ou les autorités car elles se méfiaient moins d’une blonde 😉

On retrouve dans l’humanitaire, les mêmes challenges que les autres secteurs : pas assez de femmes à des postes hauts placés (CdM par exemple), harcèlement possible dans le travail et en dehors, gestion vie privée/pro et gestion de carrière en relation avec les possibilités de vie en famille etc.

La différence fondamentale est peut-être qu’on évolue dans des contextes culturels très différents les uns des autres et parfois dans des pays où le statut de la femme est compliqué, mais dans le même temps cela ne m’a jamais posé problème dans mon travail car il y avait souvent un grand respect des liens hiérarchiques. Le statut « expatrié » te donne un statut mi femme/mi-homme qui te permet d’avoir des discussions avec des hommes, dans des pays où culturellement ça ne se fait pas pour une femme et que tu ne pourrais pas avoir en tant que locale. Exemple : parler du voile, du fait de se couvrir, du statut de la femme, avec des collègues musulmans dans des pays comme l’Afghanistan ou le Pakistan, alors même qu’ils attendent eux-mêmes que leurs femmes le fassent mais sont capables d’en discuter ouvertement avec toi qui n’est pas voilée du tout.

Ma première expérience humanitaire a été dans un pays musulman où j’ai dû apprendre à être moins tactile dans mes interactions et aussi gérer le fait que l’on ne me serre pas la main ou me regarde dans les yeux parfois à certaines réunions. Globalement, j’ai trouvé une plus grande différence dans la façon dont les femmes staff national sont perçus comparé aux femmes internationales qu’entre les hommes et femmes internationaux. Cette constatation ainsi que le fait que les droits des femmes soient si faibles dans les pays où j’ai travaillé ont développé à travers les années un fort sentiment de féminisme. Les femmes que j’ai rencontré à des postes seniors ont toujours été des femmes qui ont dû se battre beaucoup plus pour pouvoir arriver là où elles sont. Je me suis souvent demandée si ces femmes-là avaient une forte personnalité au départ qui les avait menée là où elles étaient ou si elles avaient développé cette motivation et résilience à force d’avoir à se battre pour se faire entendre. Je n’ai pas la réponse mais leur performance était bien supérieure aux hommes à poste égal !

Etre une femme humanitaire permet de vivre sa féminité selon pleins de prismes culturels différents. Les moments d’échanges que j’ai eu avec des femmes d’autres modes de vie, d’éducation, de religion sur les questions concernant l’approche au corps, à la sexualité ou encore à la relation amoureuse ont souvent abouti à la création d’une belle complicité et d’un enrichissement mutuel.

Les femmes que j’ai rencontré étaient en général très engagées et réfléchies /mesurées. Je pense qu’être une femme humanitaire est une chance car dans beaucoup de contexte on a un plus large accès aux bénéficiaires. Dans pas mal de contextes également, c’est un atout dans la négociation…. Le poids lie à la condition féminine est plus porté par les employées nationales qui reçoivent beaucoup plus de pressions de la part des sociétés dans lesquelles elles évoluent et qui sont malheureusement souvent moins protégées que leur collègues expatriées.

Pour moi un des trucs pratiques un peu compliqué d’être une femme dans l’humanitaire c’est de savoir quels habits apporter à chaque fois qu’on va dans un nouveau pays… dans les pays tropicaux des trucs pour supporter la chaleur mais qui couvrent assez pour éviter les moustiques… en Birmanie on peut mettre des jupes super moulantes mais ne faut pas montrer ses épaules, dans les pays musulmans des habits couvrants mais difficile à trouver des habits légers pour supporter la chaleur qui ne soient pas transparents ! Et d’un autre coté en Haiti mes collègues (hommes et femmes) me demandaient régulièrement pourquoi je mettais des jupes aussi longues quand elles étaient sous le genou ! les tongs de plage sont totalement acceptées même au bureau en Birmanie (on les enlève à l’entrée de toutes façons !) mais pas à Madagascar où il peut pourtant faire chaud. Et en plus de tout ça il faut quand même que ça soit un minimum professionnel ! donc pas facile de savoir quoi mettre dans sa valise avant de partir ni même comment s’habiller en général !

Pour moi, être une femme dans l’humanitaire, c’est comme être le troisième sexe, celui dont les chefs de clans avec qui tu négocies l’accès ne se sentent pas menacés, celui qui guide avec le cœur et décide d’un bras de fer dans un gant de velours, celui qui emmène une équipe comme sa famille en regardant loin et en prêtant en même temps attention aux détails et au bien-être de ses membres, pour arriver tous ensemble. Une femme dans l’humanitaire est une position difficile mais respectée lorsqu’on arrive à un certain niveau, car la détermination couplée à la douceur surprennent.

Comme dans le secteur privé, les femmes doivent toujours prouver leur compétences notamment dans les domaines techniques. Lorsque j’ai commencé cette carrière et ma première expatriation, mes enfants avaient 17 et 20 ans, certaines personnes de mon entourage m’ont accusée d’abandonner mes enfants alors que personne ne met en cause les pères qui travaillent dans l’humanitaire !

Les femmes humanitaires sont majoritaires pour ce qui concerne le personnel international en tout cas. Sur le terrain, dans certains contextes, en tant que femme expatriée on provoque l’étonnement de ses collègues « quoi tu as 25 ans et tu n’es pas mariée ? Et tu n’as pas d’enfants ? ». Il m’est aussi arrivé de recevoir en entretien d’embauche une femme qui venait accompagner de sa sœur et de devoir organiser les trajets des salariés en voiture de manière à ce qu’une femme ne soit pas dans la même voiture que ses collègues hommes….

Je travaille dans le secteur humanitaire depuis 1999 dont environ 12 ans sur le terrain. Je crois que le fait d’être une femme a été plutôt positif. En Afghanistan, par exemple, si cela pouvait être compliqué lors de relations avec les autorités (quoi que cela dépendait des personnes en face), cela permettait aussi d’avoir des relations plus proches avec le personnel féminin et des invitations dans les familles, rencontres avec femmes et enfants, donc plus intimes. En Corée du Nord, j’étais la seule expatriée femme durant plusieurs mois et avec une seule employée locale, cela nous a permis d’avoir des discussions passionnées sur des sujets variés, allant de la vue culturelle française à la contraception (elle ne connaissait pas la pilule). Apres comme partout, il y a des difficultés,et des injustices, par exemple un fois on m’a proposé puis refusé un poste au siège en France parce que j’étais enceinte…

Etre une femme dans l’humanitaire est une expérience intense et mémorable tout en étant parfois frustrante. Etre une femme, dans certains contextes peut être une « bataille » pour se faire accepter en tant que manager et demande de l’énergie, beaucoup de patience et d’humilité.
Je crois que ma plus grande satisfaction est de constater que finalement, on arrive tous à surpasser nos différences culturelles et que l’on travaille réellement ensemble et pour un but commun. J’adore ce travail et m’y sens complètement à ma place !

En tant que femme dans l’humanitaire, il faut être beaucoup plus ouverte d’esprit, patiente et tolérante que dans un autre secteur professionnel. L’interculturalité, mêlée à des contextes complexes et parfois risqués, peuvent être très « challenging » pour une femme. Surtout que nous travaillons dans des mondes où l’image et la place de la femme est différente d’un endroit à un autre. Notre ego peut parfois en prendre un coup, surtout au début et il faut apprendre à jouer de beaucoup de finesses et de psychologies pour arriver à faire sa place.

Lors d’une mission exploratoire dans un pays musulman sur un programme médicale notamment sur l’excision, j’ai dû apprendre à prendre sur moi et mettre certaines de mes convictions féministes occidentales de côté pour continuer à travailler dans le pays où j’étais. Il s’agissait d’un pays où dans certains endroits les hommes ne parlaient pas aux femmes quelque qu’elles soient. Donc comment faire pour travailler quand on est une femme sur un poste à responsabilités, si on ne peut pas parler avec ces interlocuteurs ? Dans d’autres pays, tu sais que, dans des situations sécuritaires dangereuses, tu peux être un souci de plus pour tes équipes, que tu es plus vulnérable et que tu mets ton équipe en situation de vulnérabilité, car tu es une femme, de surcroît étrangère. Comment faire ton travail si tu dois être un handicap pour tes équipes ?

Les spécificités d’être une femme dans l’humanitaire sont la vulnérabilité (dans les HIC, être une femme rajoute parfois du risque du point de vue des ONGs), le courage, la pugnacité (il en faut pour s’affirmer et ne pas céder du terrain quand on nous dénigre), une forte empathie, un professionnalisme rigoureux, et surtout une bonne confiance en soi pour ne pas se laisser déstabiliser.

Quand j’était Coordinatrice RH au Tchad, en visite terrain pour gérer une situation disciplinaire sur une base reculée où on avait une seule femme salariée, la plupart des employés (hormis équipe RH) m’appelait « chose » et refusait de me parler en me regardant et sans la présence d’une tierce personne. Aspects culturels en jeu mais énervants au possible quand même. Sur cette même base, nous avions réussi à recruter une seconde femme… dont le mari est venu la chercher au bureau avec pertes et fracas pour l’en sortir et qu’elle rentre à la maison.

J’ai souvent rencontré des femmes qui, pour se faire entendre et respecter, choisissez la « force ». Je peux comprendre qu’être une femme dans l’humanitaire et surtout dans des contextes/cultures patriarcaux forts, peut dérouter et on a tendance à chercher sa place notamment à des postes de représentation et/ou de managers. Mais je pense qu’être une femme dans l’humanitaire ça a du bon. Notre spontanéité, notre capacité à gérer plusieurs choses en même temps, notre « douceur », notre sens de l’écoute et notre recherche de compromis nous aide à ne pas être perçues comme une menace, nous démontre que nous sommes de bonnes négociatrices, et surtout que nous avons un pouvoir de rassemblement. Les femmes et enfants sont plus souvent à même de se confier à une femme, et les hommes tendent à le devenir aussi. J’ai souvent eu des discussions avec des employées locales féminines (ou pas d’ailleurs) qui avaient besoin de soutien pour s’affirmer, se faire confiance.

Bon je passe rapidement sur le nombre de fois beaucoup plus élevées, il me semble, où une femme se fait draguer par toutes sortes de gens (autorités, militaires, patients, staffs, collègues, … ) j’ai même eu une demande en mariage d’un membre de groupes armés (tout s’est bien passé pas de panique).

Et vous, laissez-nous votre témoignage de femme humanitaire dans la section commentaire ci-dessous :

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